Avez-vous des moments inutiles durant votre journée ? Des temps où vous n’êtes pas vraiment concentré.e sur votre travail ? Des moments où vous faites défiler vos fils d’actualité sur les réseaux sociaux ?
Que vous soyez très occupé.e ou non, j’ai l’intuition que cela doit vous arriver assez souvent. Sinon, les statistiques d’usage des réseaux sociaux et des smartphones seraient erronées.
Que pensez-vous de votre efficience ? Quel temps effectif travaillez-vous réellement durant votre semaine ?
Connaissez-vous le présentéisme ? C’est un phénomène bien documenté, particulièrement présent en France, et que je résumerais par le fait de privilégier le temps passé au travail par rapport aux tâches accomplies. Vous connaissez ce sentiment de culpabilité lorsqu’il est 17h, que vous avez terminé tout ce que vous aviez à faire dans la journée, mais que vous n’osez pas partir ? Vous restez au bureau, de peur que quelqu’un se demande pourquoi vous partez si tôt. Vous risquez la fameuse phrase humiliante “Tu prends ton après-midi ?”, ou simplement les regards interrogateurs des collègues. Alors vous restez, vous trainez sur internet, ou vous allez prendre un café, peut-être même jouer au baby foot si vous êtes dans une startup.
Il est ainsi préférable de perdre du temps au travail, plutôt que d’être efficace et rentrer chez soi plus tôt. Après tout, si vous arrivez à tout finir en 4 heures, votre employeur risque de vous donner plus de travail pour remplir vos 7 heures réglementaires.
Connaissez-vous la différence entre l’efficience et l’efficacité ? Les termes en anglais sont “efficient” et “effective”, que je trouve plus pertinents dans leurs définitions. L’efficience c’est optimiser le temps nécessaire pour accomplir une action. L’efficacité c’est accomplir ce qui a le plus de valeur. L’un peut aller sans l’autre. On peut être efficient, faire rapidement et sans perdre de temps, sans être efficace si ce qu’on fait ne sert à rien. Tout comme on peut être efficace et se concentrer sur la bonne chose, sans optimiser le temps.
Dans les organisations, les dirigeants vont toujours vouloir être efficaces et efficients. C’est l’idéal, être capable faire la bonne chose le plus rapidement possible, sans perte de temps. Sauf que bien souvent, les organisations se concentrent sur l’optimisation du temps pour accomplir les tâches, et l’étape du choix de la bonne chose à faire passe au second plan.
Pour faire les bons choix, nécessairement, cela prend du temps de réflexion, de recherche, de “brainstorming” comme on dit. Il s’agit d’aller à la rencontre de ses clients, son marché, ses concurrents, être à l’écoute des besoins, faire croiser les différents départements de son entreprise, encourager l’émergence d’idées.
Efficacité et efficience se passent dans des temps différents. L’efficience c’est l’optimisation. Les procédures (ou plus généralement appelés “process”) servent justement à optimiser, à être efficient. Alors que l’efficacité a besoin de temps long, de moments d’observation, de pause. Il me semble que dans les entreprises, il est très difficile de prendre ces temps-là.
En tant que développeuse dans mes précédentes expériences, il m’arrivait souvent de poser ces questions : “pourquoi on développe telle fonctionnalité ?”, “à quoi et à qui cela va servir ?”, “quel est le besoin ?”. Et j’avais beaucoup de mal à avoir une réponse satisfaisante, car bien souvent quelqu’un avait fait ce choix en amont, que cette personne croit bien connaitre les clients. Et finalement, ce n’est pas mon rôle de me poser cette question, mon rôle c’est de développer les fonctionnalités demandées. Et les organisations vont invoquer l’efficience pour ça : ce n’est pas efficient d’être tous au contact des clients, il y a des personnes dont c’est le job. J’avais demandé une fois à assister à une réunion entre le responsable produit et l’équipe marketing, par simple curiosité, car je voulais en savoir plus sur les demandes côté marketing. La réponse que j’ai eue : pourquoi pas, mais je pense que ce serait une perte de temps pour toi.
Au nom de l’optimisation du temps, on met la curiosité au second plan. Quelle conséquence cela a-t-il ? L’organisation sera peut-être efficiente, mais il y aura probablement moins d’innovation, très peu de partage entre les différents services, les employés auront une vision très limitée du “pourquoi” et du sens de leur travail, car ce n’est pas leur job de réfléchir au pourquoi. En fait c’est ça : l’efficience c’est optimiser le comment, alors que l’efficacité c’est réfléchir au pourquoi.
Alors quelle est l’alternative ? Comment concrètement être efficace et efficient ?
C’est là que le rythme entre en jeu. Il s’agit de bien alterner entre des temps de réflexion, d’échanges, d’émergence, et des temps d’action. Avoir des moments où on laisse émerger les idées, pour ensuite les concrétiser.
Et donc, les 7h de travail, ne seront pas consacrées uniquement à dépiler des tâches. Il y a des journées où ce sera peut-être le cas, lorsqu’on est lancé sur un travail qui prend du temps, et puis il y a ces jours où vous avez du temps libre. Du vrai temps libre, pendant lequel vous pouvez aller voir vos collègues commerciaux et échanger avec eux sur les demandes actuelles des prospects, faire de la veille pour observer les tendances, vous former à de nouvelles technologies, participer au support client pour comprendre les difficultés rencontrées, etc … Toutes ces activités qui vont vous apprendre énormément sur votre business, vous ouvrir l’esprit, vous donner plein d’idées, et que vous aurez enfin le temps de faire.
C’est aussi grâce à ce temps libre qu’il sera plus facile d’organiser des ateliers d’équipes pour réfléchir, concevoir, prendre du recul sur les procédures. Sans aller jusqu’à vouloir organiser tout ce temps, ce qui serait contre-productif, l’idée principale c’est de laisser de la place, du “slack” (se traduit par “mou”).
Pour les dirigeants et managers, il s’agit de cadrer sans enfermer. Avoir un cadre qui soit suffisamment clair sur la direction et le sens, et assez ouvert pour que chacun puisse évoluer sans blocage. C’est cette nuance qui peut être difficile à atteindre, et qui nécessite un certain lâcher-prise, ne pas vouloir tout contrôler.
Concrètement, cela revient à :
Prenons l’exemple des horaires de travail. Clairement, pour pouvoir organiser des réunions d’équipe, les membres doivent être présents au même moment. Pour cela, les managers peuvent encadrer certains horaires de présence : 10h - 12h et 14h - 16h par exemple. Le reste du temps, c’est libre. Les matinaux peuvent arriver à 8h, les lève-tard à 10h, mais entre 10h et 12h, on peut travailler ensemble. Pareil pour l’après-midi, on peut organiser des réunions jusqu’à 16h au plus tard. Cela permet une réelle flexibilité, évite le présentéisme, tout en ayant un minimum de cadre de travail collectif.
Rythmer, sans contrôler. Cadrer, sans enfermer. Donner du sens et faire confiance.
Ne pas tomber dans le piège de créer des process pour tout. Les process servent principalement à automatiser ce qui est simple. Il reste à gérer le complexe. Avoir un process de management qui consiste à organiser des entretiens réguliers avec chaque employé, des évaluations de performance annuelles, un suivi plus assidu pendant la période d’essai, tout cela peut être utile pour avoir un minimum de cadre, mais ne traite pas du management en lui-même, de la posture, de la capacité d’écoute, du leadership. Cet aspect du rôle de manager est complexe et ne se règle pas avec des process. Le travail humain ne peut pas être contrôlé comme avec des machines.
Finalement, avoir du temps libre dans sa journée peut paraître inutile au premier abord, car aucune tâche n’est accomplie et rien n’est visible à court terme. Mais c’est un investissement à long terme, qui aura des effets visibles sur la motivation et l’engagement des équipes, sur l’innovation et la pertinence des services rendus aux clients.
Alors, êtes-vous prêts à laisser de la place à l’inutile ?
La principale référence de cet article est le livre “Slack, Getting Past Burnout, Busywork, and the Myth of Total Efficiency”.
Article “Le temps juste (tempo giusto)” de Alexandre Thibault.
Le Ted Talk “Start with why” de Simon Sinek, la vidéo est célèbre et reste toujours pertinente à revoir si vous l’avez déjà vue.