Les Jazzettes #6 : Éloge du rythme soutenable

Lors de mes interviews et échanges dans le cadre du projet Jazz, le sujet de la charge de travail est omniprésent. J’observe que le travail prend beaucoup de place et de temps dans le quotidien, et qu’il y a régulièrement un sentiment d’urgence et de retard qui génère du stress. Avec la généralisation du télétravail, viennent s’ajouter des difficultés pour se déconnecter et limiter ses horaires de travail.

Il me semble en fait que le rythme est trop soutenu pour tenir sur la durée. Alors, pourquoi ne pas ralentir et adopter un rythme régulier et soutenable ?

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Une routine qui soutient

Lorsque j’évoque la mise en place de routine, j’observe chez certaines personnes une résistance, voire même une défiance. “La routine, c’est pas pour moi”, “Je ne fonctionne pas comme ça”, “C’est trop rigide”, “Je vais m’ennuyer” sont les principales objections que j’entends. Routine = ennui.

Pour moi, la routine c’est ce qui rythme ma journée. C’est une démarche consciente de créer des instants qui me soutiennent. Dans mon cas, la routine s’est mise en place conjointement à la maison. On a commencé par une marche quotidienne après le déjeuner. Il arrive qu’on ait des empêchements, alors on choisit un autre moment dans la journée pour faire cette marche. Travaillant tous les deux à la maison, cette balade nous permet de prendre l’air, de faire un minimum d’exercice, et c’est un moment qu’on apprécie. Il nous arrive même d’échanger sur notre travail en marchant, comme discuter du prochain sujet de la newsletter.

Pour les personnes qui sont en télétravail, la routine peut vraiment aider à rythmer sa journée. Au lieu de manger rapidement devant son écran le midi, une alternative serait de prendre 1h30 ou même 2h de pause déjeuner (bloqué dans l’agenda), ce qui laisse du temps pour cuisiner, bien manger, et aller faire une marche par exemple.

Il peut y avoir toutes sortes de routine, et ce n’est pas nécessairement la méditation ou le yoga au réveil (inconcevable pour moi qui suis très lente à émerger le matin !). La routine, ce n’est pas non plus des choses qu’on s’oblige à faire pour être “meilleurs” ou “plus productifs”. C’est un moyen de se soutenir dans sa journée. Faire une sieste, lire, marcher, faire du sport, méditer, jouer du piano, chacune et chacun peut trouver ce qui lui correspond, et ce qui l’aide à vivre ses journées dans les meilleures conditions. C’est une démarche personnelle qui répond à ses propres besoins.

Moins de distraction et plus de concentration

Est-ce qu’il vous arrive de passer trop de temps à regarder votre boite mail, ou vos réseaux sociaux ? C’est un problème que j’ai eu il y a quelque temps. Je reçois peu de mails pourtant, mais j’avais toujours l’onglet ouvert sur mon navigateur. J’ouvrais aussi régulièrement LinkedIn, Twitter, Facebook, et je me perdais quelquefois dans le fil d’actualité. Je me suis rendu compte que cela me fatiguait, ne m’apportait pas grand-chose, et je finissais la journée avec une certaine insatisfaction. Dans la nouvelle routine que nous avons adoptée avec Alex, on a établi 3 créneaux de 15 minutes maximum pour les mails : matin, midi et soir. Le reste du temps, on ne regarde pas (onglets fermés, pas de notifications). C’est un soulagement pour moi, je me sens plus légère, plus concentrée sur mes activités, et plus satisfaite en fin de journée.

Les premières fois que je suggère cette solution de moins regarder ses mails, j’ai très souvent une première objection liée à la disponibilité. “Je dois être tout le temps disponible”, “il y a des mails urgents parfois”, et d’autres raisons qui justifieraient d’avoir un oeil constant sur sa messagerie. Pourtant, l’interruption liée à ces notifications est néfaste sur la concentration. Il est beaucoup plus efficient de traiter ses emails en lots, plutôt que de répondre tout de suite à chaque sollicitation. Et sur la question de disponibilité, un délai de 2h ou 3h ne serait-il pas acceptable pour répondre à ses mails ? Pour les urgences, il vous est possible de rester joignable par téléphone, il suffit d’en parler à vos collègues et bien souvent vos interlocuteurs s’adapteront.

Le mythe du super-héros

Avez-vous déjà rêvé d’être un super-héros ?

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Lorsque j’étais petite, je regardais la série Superman avec les aventures de Lois et Clark. Superman, c’est un journaliste et un super-héros. Il arrive à faire des reportages, écrire les articles, et sauver des vies dans la même journée. Toujours disponible pour aider les autres, on peut compter sur lui. Alors on pourrait se dire que c’est surtout grâce à ses super pouvoirs, et qu’on ne peut pas vraiment se comparer à lui, étant de simples humains. Qu’en est-il de Batman ? Batman, c’est un humain, très bien équipé techniquement certes, mais sans super pouvoirs. Il dirige un empire, et se transforme en héros la nuit. Il ne dort jamais en fait, mais reste en forme.

Pourquoi est-ce que je parle de super-héros ? Pour moi, il s’agit d’une culture de la super personne toujours disponible pour les autres, qui gère tout, toujours en forme, et qui ne se plaint jamais. Il y a cette envie de se dépasser, se challenger, repousser les limites. Comme si c’était finalement faible d’avoir des limites, d’être fatigué, d’avoir besoin de repos. La force serait dans le dépassement de soi, dans l’extrême.

J’ai récemment entendu une amie me dire qu’elle aimerait bien être un héros, qu’elle aime relever des défis, travailler sous une certaine pression, être à 110%.

Pourquoi se contenter d’être à 80% quand on peut faire bien plus ?

C’est là que la notion de rythme entre en jeu. En tant qu’être humain, je n’ai pas une énergie infinie, je ne peux pas travailler non-stop, sans avoir du temps de récupération. Dans un travail qui demande de la réflexion, j’ai également besoin d’être concentrée, et on sait que le cerveau ne peut pas rester concentré pendant un temps trop long (généralement au bout d’une heure environ, on commence à décrocher). Alors je gère mon énergie. Je ne me donne pas à fond tout le temps. Je garde une réserve, qui me servira pour les moments de réelle urgence. Si je me donnais à fond tous les jours, lorsque viendrait une situation difficile, je n’aurais pas suffisamment d’énergie pour réagir efficacement. Je pourrais faire mon maximum et donner tout ce qui me reste, mais après je serais vidée et complètement à plat pour les jours suivants.

Une image qu’on pourrait utiliser pour illustrer ce propos c’est celle de l’ordinateur. Utilisez sa mémoire ou sa capacité de calcul à 100%, puis tentez d’ouvrir une nouvelle fenêtre. C’est long, ça rame, aucune réactivité. C’est la même chose au travail. Si tout le monde est occupé à 100%, il est très compliqué d’être réactif et disponible pour une nouvelle demande.

Et si on sortait enfin du mythe du travailleur acharné, qui ne s’arrête jamais, qui privilégie son travail à sa vie personnelle, pour retrouver un rythme de vie plus juste et plus équilibré ?

Les avantages sont tellement nombreux : moins de stress, moins de charge mentale, meilleure santé, plus de temps pour faire face aux imprévus, plus de disponibilité pour ses collègues, plus de créativité, meilleure qualité de travail, moins d’erreurs, moins de retards, plus de temps personnel.

Commencer par soi

Peut-être en êtes vous déjà convaincu-e. Peut-être êtes-vous dans un poste de manager, et vous souciez-vous de la charge de travail de vos membres d’équipe. Alors vous essayez de les aider, les inviter à libérer un peu d’espace dans leurs agendas, à ne pas avoir trop de réunions, à prendre de vraies pauses le midi. J’ai remarqué que dans ce sens-là, il est plus facile de se soucier des autres et de les accompagner plutôt qu’à le faire pour soi. J’ai rencontré plusieurs personnes dans ce cas, soucieuses de la santé de leurs équipes, mais incapables d’appliquer ses conseils pour elles-mêmes. Elles restent dans le même rythme très soutenu, avec un agenda plein.

J’aimerais lancer une invitation à commencer par soi. Je crois beaucoup à l’influence par l’exemple, et qu’il est plus efficace de montrer que de dire. Il est tout à fait naturel de suivre ce que l’on voit autour de nous. Alors si je choisis de m’accorder des vraies pauses déjeuner, de prendre du temps pour faire de l’exercice, de prendre des pauses régulières, de me déconnecter à partir d’une certaine heure le soir (et donc ne pas répondre aux mails ni en envoyer), alors j’envoie le bon message à mes collègues et aux membres de mon équipe. À l’inverse, je pourrais continuer à travailler le soir, prendre très peu de pauses, travailler quelques fois le weekend, cela se verra inévitablement. Même si j’incite mon équipe à en faire moins, à ne pas suivre mon exemple, je n’envoie pas le bon message, et mon équipe suivra mon rythme.

Commencer par soi, et les autres suivront éventuellement. Qu’en pensez-vous ?