Les Jazzettes #5 : Respecter son équilibre

Il y a peu de temps, j’ai été invitée à un évènement en ligne organisé un dimanche soir à 21h, et souhaitant réunir une communauté de femmes entrepreneures. C’est une communauté que j’apprécie, que je respecte, et je n’ai aucune intention de la critiquer. J’étais simplement surprise de voir une telle invitation le dimanche à 21h. Surprise de ce choix, qui invite donc des femmes professionnelles à se connecter à leur écran à cette heure tardive, la veille du début de semaine qui est souvent assez chargé.

Dimanche, c’est devenu il y a quelque temps, la journée sans écrans. Pas d’ordinateur allumé, pas même pour regarder une série ou un divertissement. Utilisation minimale du téléphone, seulement en mode appel ou SMS. C’est une journée consacrée au repos, à la lecture, aux loisirs créatifs, ou à toute autre activité (ou inactivité) que j’aurai envie de faire sur le moment. Bref, c’est un temps que je prends pour me ressourcer. Et je vois clairement les effets positifs sur mon humeur et mon énergie.

La dépendance au travail

De toute ma carrière professionnelle, je n’ai presque jamais travaillé le weekend ni le soir après 20h. Je dis presque, car il est arrivé de très rares fois où je suis restée au bureau plus tard le soir pour régler un gros problème en production, et j’ai travaillé une fois un samedi lors d’un stage.

Je connais cependant plusieurs personnes qui travaillent régulièrement en dehors des heures de travail déclarées, le soir ou le weekend, voire même pendant les vacances. Certaines mamans reprennent l’ordinateur le soir après le coucher des enfants, pour “rattraper” leurs journées un peu plus courtes du fait des contraintes scolaires. Des échéances peuvent obliger d’autres à “rusher” pour respecter les délais.

J’ai également découvert au travers de lectures et de podcasts le monde de travail de certains cabinets d’avocats, dans lesquels les employés sont incités à une disponibilité totale, travaillant tous les jours jusqu’à très tard le soir pour préparer des contrats, même pendant le weekend. Un rythme insoutenable, qui finit bien souvent en burnout ou en démission. C’est comme une course à qui est capable de tenir, de ne pas craquer, une sorte de Koh-Lanta, les meilleurs finissant par devenir associés.

C’est un phénomène qui me semble absurde, et pourtant tant d’hommes et de femmes sont pris dans cette addiction au travail. Il peut y avoir une dépendance à ce statut que confère le travail, ce métier, cette position, par laquelle on se définit. “je suis avocate”, “je suis programmeuse”, “je suis écrivaine”, comme si mon identité était entièrement liée à mon travail.

La dépendance peut également être liée au travail en lui-même et aux sentiments qu’il nous procure : plaisir, accomplissement, satisfaction, utilité, appartenance.

Au-delà de la pure dépendance, on peut identifier d’autres raisons qui poussent à faire ces heures supplémentaires : une surcharge de travail non choisie, une pression de ses supérieurs, vouloir être bien considéré.e par ses collègues et sa hiérarchie, la culpabilité de ne pas en avoir assez fait, un défaut d’organisation.

Ces heures supplémentaires à répétitions ont des effets secondaires : diminution de la qualité de travail, épuisement, perte de motivation qui peut amener à quitter son emploi, perte d’efficacité durant les heures normales. Cela peut créer un véritable cercle vicieux : plus on travaille, plus on est fatigué, moins notre cerveau est concentré, et donc plus on prend du retard, et ainsi de suite. Le seul moyen de casser ce cycle est de poser des limites.

Choisir le bon moment

Lundi, à l’occasion de la journée des droits des femmes, j’ai organisé un évènement pour parler du temps des femmes. J’ai choisi volontairement de le programmer de 11h30 à 12h30. Cela reste assez proche de la pause déjeuner, mais permet quand même de prendre ce temps. Je préfère “empiéter” sur le temps de travail, plutôt que sur le temps de pause, qui est déjà assez souvent sacrifié, quitte à ne pas avoir beaucoup d’inscrits. Car il s’agit également de respecter mon propre rythme.

Quand je regarde les horaires d’évènements de meetups professionnels auxquels je suis inscrite, ils sont en majorité prévus le soir après 18h ou entre 12h et 14h. Je comprends l’intention, qui est de pouvoir permettre au maximum de gens d’y participer sans conséquence sur leur journée de travail. La conséquence est cependant sur le temps personnel, le temps de pause déjeuner ou de repos après une longue journée de travail. Il m’est arrivé de participer à certains de ces évènements, mais la plupart du temps, même si j’étais très intéressée par les thèmes abordés, j’étais tout simplement trop fatiguée pour y aller.

Déconnexion et reconnexion

Prenez-vous du temps pour vous déconnecter ? J’ai commencé l’article en parlant de ma journée du dimanche “sans écrans”. En fait, je sens de plus en plus le besoin de m’éloigner de mon smartphone et de mon ordinateur. Ce n’est pas l’appareil en lui-même qui est en cause, mais les applications, les réseaux sociaux, les mails, internet. Venant de moi, une développeuse logiciel, cela peut paraitre étonnant ! Ces nouvelles technologies et outils sont certes très pratiques, mais addictifs. J’espère arriver à utiliser ces outils à des fins choisies, plutôt que l’inverse, à savoir être moi-même utilisée. Ce n’est qu’en prenant de la distance, que j’arrive à voir à quel point mon téléphone me prenait du temps et de l’attention.

Cette déconnexion me permet de me reconnecter à l’essentiel, à ce que je ressens, aux sensations physiques, et aux autres. Arriver à être pleinement présente.

J’entends souvent lors de mes interviews des expressions comme “sortir la tête de l’eau”, “avoir le nez dans le guidon”, “être pris dans le tourbillon”, “perdre pied”. Je sens un grand déséquilibre dans ces phrases, et aussi une invitation à lever la tête et observer ce qui est présent.

man holding stick making bubbles beside body of water
Photo by José Fulgencio Orenes Martínez on Unsplash

Références

Documentaires sur l’addiction aux écrans et aux réseaux sociaux :

Livre Merci mais non merci, de Céline Alix, où sont décrits les environnements de travail au sein de prestigieux cabinets d’avocats et d’affaires.

Livre Slack: Getting Past Burnout, Busywork, and the Myth of Total Efficiency, de Tom DeMarco, en particulier le chapitre 9 “Overtime”.

Podcast “Travail en cours” : Comment le présentéisme résiste aux confinements, épisode sur la culture du présentéisme particulièrement présente dans les cabinets d’avocats.