Les Jazzettes #25 : La beauté de l'inachevé

Il y a un certain nombre d’activités et de projets que j’ai commencés sur lesquels j’ai passé du temps, sans les terminer. J’ai par exemple plusieurs brouillons d’articles, des notes un peu partout, des livres dont je n’ai lu qu’une partie.

Lors d’une vue du ciel, j’avais parlé de ma frustration de ne pas aller au bout de mes idées de projets, et bien que certaines initiatives aient bien été lancées, d’autres projets plus longs à développer sont mis de côté. Un participant m’a alors montré que ces projets non aboutis peuvent être vus comme une mosaïque, un ensemble riche et diversifié. Ainsi, en regardant l’ensemble, je peux apprécier l’oeuvre, plutôt qu’en isolant chaque petite partie.

Credit photo : Giulia May

Alors pour cette publication, j’aimerais vous partager plusieurs réflexions et idées, qui peut-être feront l’objet d’une rédaction plus aboutie à l’avenir.

J’aurais dû …

Il m’arrive souvent de me dire “j’aurais dû …” après avoir commis une erreur, ou ne pas avoir pris la meilleure décision. “J’aurais dû faire attention”, “j’aurais dû prendre l’autre chemin”, “j’aurais dû mieux m’organiser”. C’est comme si je comparais ce qui m’est arrivé avec une réalité alternative, un monde parallèle dans lequel j’aurais fait un meilleur choix. Qu’est-ce qui me dit que cela aurait été meilleur ? Peut-être qu’en faisant ce supposé meilleur choix, d’autres conséquences non prévues seraient arrivées.

Dans les fictions relatives au voyage dans le temps, il y a souvent ce principe de ne jamais modifier le passé au risque de bouleverser le futur de manière imprévisible. Ainsi, derrière ces “j’aurais dû”, il y a une supposition que je serais en mesure de contrôler le cours des évènements et prévoir les conséquences de chacun de mes choix. Est-ce vrai ?

De cette supposition de contrôle des évènements, de sa vie, et même de la vie des autres, découlent des variantes : “je devrais”, “tu devrais”, “je n’aurais pas dû”, “tu aurais dû”, “tu ne devrais pas”. Quantité de reproches et de jugements basés sur une illusion de contrôle et qui empêchent de voir et d’apprécier la réalité telle qu’elle est.

Occupés à ne rien faire

Je parcourais mes précédentes publications pour me remémorer des sujets sur lesquels j’avais déjà écrit, dans l’idée de ne pas me répéter, et j’ai retrouvé celle-ci publiée le 14 octobre dernier, dans laquelle je citais un passage du traité de Sénèque De la brièveté de la vie :

« Mais combien est courte et agitée la vie de ceux qui oublient le passé, négligent le présent, craignent pour l’avenir ! Arrivés au dernier moment, les malheureux comprennent trop tard qu’ils ont été si longtemps occupés à ne rien faire. »

Que signifie cette expression “occupés à ne rien faire” ? J’ai plusieurs exemples en tête qui me semblent la représenter : faire défiler des fils d’actualités (news, réseaux sociaux), se perdre sur internet en recherches diverses, se perdre dans sa tête en réflexions et préoccupations.

Il m’arrive en particulier de “me perdre” dans mes réflexions, dans des questionnements, à chercher des solutions à des problèmes. Mes pensées défilent sans cesse, et lorsque je ne fais rien physiquement, je suis par défaut occupée dans mes pensées.

À quel moment est-ce que ça s’arrête ? Est-ce que ça peut s’arrêter ? Je pourrais par exemple toujours trouver des choses à faire, organiser mon temps pour éviter de me perdre, mais cela ne m’explique pas d’où vient toute cette occupation mentale. Ce qui devient une nouvelle question à laquelle je m’occupe de réfléchir …

Débusquer mes paradoxes

J’ai découvert David Bohm récemment, et dans le livre On Dialogue, il y a un chapitre sur les problèmes et les paradoxes. Ce sujet mérite clairement un article dédié, mais je vais quand même tenter de l’aborder ici.

Bohm explique que la plupart des problèmes auxquels nous faisons face ne sont en réalité pas des problèmes, mais des paradoxes. Un problème doit pouvoir être énoncé clairement et sans contradiction, ce qui est généralement le cas des problèmes techniques. Qu’en est-il des problèmes humains et relationnels ?

Je peux par exemple considérer certains de mes comportements ou de mes habitudes comme des problèmes à résoudre, et tenter de les corriger. La procrastination, la distraction, les préoccupations ou des conflits relationnels sont autant de problèmes couramment rencontrés. Qu’en est-il de leur résolution ?

Bien souvent, ces problèmes persistent, et les tentatives de solutions ne font qu’ajouter de la confusion et nous éloignent de leur origine.

Justement, à l’origine de ces difficultés se trouve probablement un paradoxe. Des désirs contradictoires, des conflits entre un besoin et une peur, peut-être liés à des valeurs culturelles. Prenons par exemple la peur du conflit : lorsque je cherche à tout prix à éviter les conflits, je vais essayer de toujours satisfaire les autres, m’adapter à leurs besoins, et cela même au détriment de mes propres besoins. Je vais éviter de partager mes véritables sentiments, qui vont nourrir des ressentiments et de la colère envers les autres ce qui inévitablement va rejaillir sur mon entourage et créer des conflits. Ainsi en partant d’une peur de conflit, j’arrive à créer des conflits, une situation pleine de confusion.

Ce n’est qu’en identifiant l’origine de ces difficultés que je peux m’en libérer.

Cela peut paraitre simple, mais ça ne l’est pas. Car en réfléchissant à mes difficultés, en essayant d’identifier mes paradoxes, je vais utiliser mon système de pensée qui a lui-même des contradictions. Ma façon de réfléchir et d’interagir avec le monde est basée sur des suppositions. Je regarde le monde à travers des filtres, de manière totalement subjective, et je l’interprète en me basant sur des suppositions, sans m’en rendre compte. Ainsi, je ne réfléchit pas, ce sont mes suppositions qui réfléchissent.

Quelles sont ces suppositions ? Comment les observer ?

Prendre conscience du fait même que je regarde le monde à travers des filtres me permet de questionner mes observations. Je peux alors mettre en doute ce que je considère comme vrai, non pas en considérant que c’est faux, mais en observant que la réalité est bien plus complexe et plus vaste, et mérite une plus grande attention.

Références

Le livre On dialogue de David Bohm.

Le livre Loving What Is de Byron Katie.

La newsletter The Imperfectionist de Oliver Burkeman, auteur du livre Four Thousand Weeks, qui m’a inspiré le thème de cette publication.