Lors de la dernière vue du ciel, nous avons abordé le thème de l’énergie, et entre autres, ces deux questions : qu’est-ce qui nous donne de l’énergie ? Qu’est-ce qui nous en enlève ?
La précédente bulle d’air avait aussi un thème proche : « l’engagement ». La question était alors d’où vient notre engagement ? D’où vient l’énergie ?
L’énergie pour accomplir ses rêves, pour réaliser ses projets, pour tenir ses engagements.
Il m’arrive de ressentir une grande énergie à l’idée de démarrer un nouveau projet, lorsque tout semble possible. Et puis d’autres moments, l’énergie peut être basse ou fluctuante, sans raison particulière. Ou après avoir investi beaucoup de temps et d’énergie sur un projet, tout retombe, et il n’y a plus aucune motivation à faire quoi que ce soit.
Qu’est-ce qui nous donne de l’énergie ? Qu’est-ce qui nous en enlève ? Est-ce un sens donné à nos actions ? Des objectifs à atteindre ?
Certaines activités peuvent nous redonner de l’énergie, comme admirer un paysage, regarder des oeuvres d’art, jouer de la musique. Tandis que d’autres nous épuisent très rapidement : assister à une réunion, travailler ou étudier un sujet sans intérêt, présenter une conférence. Ce sont des exemples qui me sont venus en tête, chaque personne peut aussi réfléchir à cette question et avoir des réponses très différentes.
On peut alors peut-être s’organiser et réserver des temps pour faire des activités qui nous redonnent de l’énergie, se faire aider sur certaines tâches ou les étaler lorsque l’on sait qu’elles nous épuisent.
Il m’arrive aussi de retrouver mon énergie seulement après avoir passé un moment en silence, ou même suite à une discussion durant laquelle chaque personne a pris le temps de s’exprimer, sans se faire interrompre, avec des temps de silence. Les bulles d’air me redonnent beaucoup d’énergie, et pourtant cela me demande une grande attention en tant qu’organisatrice et participante.
Je me demande si l’énergie n’est pas déjà présente naturellement, sans avoir besoin de la puiser quelque part, et ainsi la question serait : où est-ce qu’elle part ?
Il y a de nombreuses situations dans lesquelles je me retrouve en conflit et qui dissipent mon énergie. Lorsque je me dis que « ce n’est pas normal », « ça ne devrait pas arriver », telle personne « ne devrait pas » se comporter d’une certaine manière … Lorsque j’entre en conflit avec la réalité, parce qu’elle ne me convient pas, parce qu’il y a des difficultés, des imprévus, des injustices, l’énergie se perd dans ce conflit.
Il y a des sentiments d’impuissance et de frustrations lorsque je suis dans une situation qui me semble « anormale ». Si je suis en quête d’un résultat, d’un statut ou d’un état émotionnel, je peux me retrouver en conflit avec la réalité présente.
J’entends beaucoup cette phrase « ce n’est pas normal », et je l’ai assez souvent prononcée. C’est comme si les faits étaient comparés à une théorie, un monde tel qu’il devrait exister, et je me débats ainsi avec la réalité qui est pourtant la seule qui existe.
Peut-être cela viendrait-il d’une éducation qui incite à toujours faire des efforts pour réussir ? Il faut pour cela tenir le rythme, se donner au maximum pour faire partie des meilleurs et ainsi maximiser ses chances de réussite. Le monde compétitif ne réussit pas à tous, seuls les premiers s’en sortent. Il y a beaucoup de conflits dans la compétition, l’injustice qui peut être ressentie de ne pas avoir toutes les chances de son côté, le conformisme pour se faire accepter.
Cela devient après une habitude, de se croire en contrôle de sa vie, et de trier après les évènements « normaux » des « anormaux » selon sa vision de la réalité. Une vision qui est nourrie par son environnement extérieur, son éducation, sa famille, et par la société dans laquelle on vit.
C’est l’histoire de la personne qui réussit à façonner sa vie telle qu’elle le souhaite, à trouver un travail qui la passionne, à avoir une belle maison, une belle famille. Une histoire idéalisée et qui incite à toujours se projeter dans un futur meilleur, et ne pas se contenter du présent.
Je peux aussi me dire qu’une fois un certain résultat atteint (un beau diplôme ou un travail stable), je pourrais relâcher la pression et me détendre. Seulement, la course ne s’arrête pas si facilement. L’habitude de se projeter et de rejeter une partie de son présent pour le préférer à un futur idéal reste là. S’y rajoute l’impression de ne pas savoir ce que je veux, car après tout si j’ai réussi les objectifs que je m’étais fixés, je devrais être satisfaite. Si je ne le suis pas, alors que « sur le papier », tout va bien, je me retrouve perdue, ou « anormale ». Il y a conflit entre la réalité que j’imaginais et celle que je vis, entre ce que les objectifs étaient censés m’apporter et mon état d’esprit.
Je crois qu’il peut y avoir beaucoup de retenue, des choses que je m’empêche de faire, des comportements que je rejette. Je me retiens, je me contrôle, pour me conformer à un idéal de vie, à ce que les autres attendent de moi. Dans ces cas, l’énergie se gaspille dans cette retenue et je m’épuise.
Qu’est-ce que je cherche ? Quelle est ma quête ? Je crois que tant que je suis en quête de quelque chose, d’un plus bel avenir, d’une acceptation de la part de la société, de devenir une meilleure personne, ou d’atteindre la sécurité, je ne serai pas libre. Il me semble que la liberté c’est lorsqu’il n’y a plus d’objectif à atteindre. Alors là je peux enfin vivre librement.
La quête peut aussi être liée à une peur du vide. Il est plus rassurant de se raccrocher à des activités régulières, des projets, des croyances, une identité que d’affronter le sentiment de vide dans sa vie. Le vide peut pourtant être libérateur, un espace dans lequel je peux me retrouver, m’ouvrir à ce qui m’entoure, et me sentir libre.
“When there is freedom, there is energy”
Traduction : lorsqu’il y a de la liberté, il y a de l’énergie, extrait du livre « Freedom From the Known » de Krishnamurti.
Lorsque je me libère de mes peurs, des images et représentations auxquelles je me conforme, des jugements et des comparaisons, alors il y a de l’énergie. L’énergie d’interagir avec la réalité, avancer avec confiance, attentive au parcours sans chercher à atteindre un objectif. Ainsi l’énergie se libère d’elle-même sans aucun effort.
Peut-être que l’énergie n’est pas à chercher à l’extérieur, dans un engagement particulier ou à travers un projet motivant qui fait sens pour nous. Peut-être qu’il s’agit surtout de libérer l’énergie déjà présente, de la laisser se déployer librement, sans chercher à la contrôler.
Le livre Freedom from the Known (Se libérer du connu) de Jiddu Krishnamurti.
J’ai commencé à lire Résonance de Hartmut Rosa, et il y a ces courts extraits du début du livre que je souhaite vous partager :
“La santé, l’argent, la communauté (des relations sociales stables), mais également l’instruction et la reconnaissance, sont considérés comme les ressources essentielles d’une vie bonne […] et plus encore : ils sont devenus synonymes de vie bonne. Comment s’enrichir, améliorer sa santé, augmenter son pouvoir de séduction, accroître son cercle d’amis, développer son capital social et culturel, etc. : ce ne sont pas seulement les sujets de prédilection des « manuels de développement personnel », ce sont aussi les indicateurs dominants de la qualité de vie.”
“De là vient l’un des problèmes fondamentaux auxquels ne cesse de se heurter la recherche empirique sur le bonheur : lorsque l’on demande à des personnes si elles sont heureuses ou satisfaites de leur vie, elles répondent généralement en considérant l’état de leurs ressources : je suis en bonne santé, j’ai un revenu confortable, trois beaux enfants, une maison, un bateau, beaucoup d’amis, une solide réputation ; oui, je suis heureux.”
“Il est intéressant de constater que tant dans la recherche sociologique que dans la discussion politique et la littérature de développement personnel, l’idée du juste équilibre vie-travail s’est imposée comme critère de référence. C’est reconnaître implicitement que vivre n’est pas la même chose que travailler – le terme de « travail » devant s’entendre ici au sens large de chasse aux ressources. Cet équilibre, de fait, s’avère problématique pour la plupart d’entre nous : car nous ne l’atteignons pas pendant la phase la plus active de notre existence qui est soumise aux règles du jeu de l’accroissement et aux to-do lists dont on ne vient jamais à bout.”