J’avais préparé une autre publication depuis plusieurs jours déjà, qui était presque terminée, mais je n’arrivais pas à la finaliser pour la publier, et elle est restée dans mes brouillons. J’avais l’impression que ce n’était pas assez abouti, que le sujet abordé n’est peut-être pas suffisamment réfléchi, bref que ce n’était pas assez bien pour être publié.
J’ai lu le livre “Being Ecological” de Timothy Morton (traduit en français “être écologique”) en anglais. Après avoir assisté à une de ses conférences en octobre, j’ai beaucoup apprécié sa façon de parler très particulière, avec un humour anglais assez cynique, ce qui m’a donné envie de lire ses écrits en version originale.
Dans son livre, il raconte une scène vécue durant un cours qu’il donnait dans une université californienne, où en posant une question de type “qui s’y connait sur tel sujet” à sa classe, une élève répond : “Why should I care?” (“pourquoi devrais-je m’en soucier ?”). Choqué au premier abord par cette réponse, qui peut paraître assez insolente, il se demande par la suite pourquoi sa réaction est aussi vive, et se pose alors cette même question “Why should I care?”, pourquoi devrais-je me soucier autant qu’une élève me donne cette réponse.
C’est une question que je me pose aujourd’hui, pourquoi devrais-je me soucier et accorder autant d’importance à un article au point de ne pas le publier ?
Timothy Morton invite dans une partie de son livre à moins se soucier, “to care less” ou “care free” qui pourrait se traduire par “insouciance”. Moins se soucier, une manière d’être différente à la fois de l’engagement et de l’indifférence.
C’est difficile d’arriver à cet état d’insouciance face à des valeurs ou des croyances bien ancrées. Autant de valeurs vertueuses comme la justice, le respect, la curiosité, la bienveillance, auxquelles il paraît assez naturel de se soucier.
Je peux par exemple accorder beaucoup d’importance à la curiosité. Je vais ainsi avoir des activités et des comportements nourrissant ma curiosité, comme lire, assister à des conférences, m’intéresser à des sujets différents, faire de nouvelles rencontres. L’indifférence et le manque d’ouverture d’esprit seraient alors inconcevables pour moi, et je rejetterais ces comportements lorsqu’ils se manifestent chez les autres. Ce qui est finalement assez paradoxal car je manquerais d’ouverture d’esprit face à l’indifférence.
Pourquoi devrais-je m’en soucier ?
Se soucier est souvent considéré comme une qualité. S’occuper des autres, faire attention, se soucier du bien être de ses proches. Il m’arrive parfois de culpabiliser de ne pas suffisamment me soucier au sujet d’une personne proche, ou par rapport à une situation, alors que le fait même d’y penser prouve le contraire. Je me fais du soucis de ne pas me faire suffisamment de soucis.
Pourquoi devrais-je m’en soucier ?
Me soucier moins, continuer à y accorder une importance mais sans me fermer, et sans aller dans l’indifférence. C’est mieux accueillir des situations dans lesquelles d’autres se soucient moins que moi.
Le mot en anglais care signifie “prendre soin”, “faire attention”, “se soucier”. Prendre soin est cependant assez différent de se soucier. Le souci, peut s’apparenter à l’inquiétude : “Je me fais du souci”, “je suis soucieuse”, “j’ai un souci”. Le souci est troublant, alors que le soin apaise.
Pourrais-je prendre soin de mes soucis ? Le “care less” de Timothy Morton invite à “moins se soucier”, ce qui ne veut pas dire “moins prendre soin”. Je crois au contraire qu’en me souciant moins, je prends soin de moi et des autres. En me souciant moins, je préserve mon estime de moi de mes exigences, et je ne les projette pas sur les autres.
Je prends soin de ma curiosité, je prends soin de mes écrits, et je prends soin de partager mes réflexions.
“Being Ecological”, Timothy Morton.
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