Avez-vous hâte à quelque chose ? À un évènement particulier ? Aux prochaines vacances ? Peut-être avez-vous hâte à la fin des restrictions sanitaires, à retrouver vos habitudes ? Ou peut-être à l’inverse redoutez-vous ce retour à la vie “normale” ?
Lorsque j’étais plus jeune, je me souviens avoir eu hâte de grandir, être indépendante, en finir avec l’école et les devoirs. Il y a quelques semaines, j’ai ressenti une certaine hâte à déménager et me lancer dans un nouveau mode de vie.
Dans ses moments, j’ai l’impression de ne pas être vraiment engagée dans le présent, comme si je voulais accélérer le temps et passer à l’étape suivante.
Passez-vous du temps à penser au futur ? Que ce soit pour vous y projeter avec une certaine hâte, ou par inquiétude d’un évènement malheureux ?
Je me suis rendu compte que le futur occupait une bonne partie de mon temps libre. Je l’organisais, je planifiais des évènements ou des choses à faire, je me rassurais en tentant de prévoir toutes les éventualités. Et parfois, j’angoissais, en imaginant des scénarios désagréables à base de “Et si ?” : “Et si cela se passait mal ?”, “Et si le train est en retard et je rate ma correspondance ?”, “Et s’il m’arrivait quelque chose ?”, “Et si je perdais des choses importantes ?”, “Et si je n’arrive pas à gagner de l’argent ?”…
La nuit en particulier, les “Et si ?” prennent une dimension démesurée, tout me parait grave et définitif, sans aucune échappatoire possible.
Une autre relation au futur que j’observe est celle qui consiste projeter des espoirs, en se disant par exemple que plus tard, la vie sera meilleure ou plus facile.
En ajoutant des conditions, je remets à plus tard un état que je souhaite et que je ne crois pas pouvoir atteindre maintenant. “Lorsque j’aurai de l’argent, je lancerai mon projet”, “Lorsque j’aurai cette promotion, je m’accorderai plus de temps libre”, “Lorsque je serai à la retraite, je ferai un tour du monde”.
Je diffère ainsi mes rêves ou mes idéaux de vie, en misant sur un futur plus favorable.
Le futur n’existe pas encore, et pourtant il est déjà présent dans mes pensées, et m’empêche de profiter pleinement du moment présent.
Je me souviens avoir regardé le film “Le cercle des poètes disparus” il y a de nombreuses années, et retenu cette phrase du personnage principal : “carpe diem”. À l’époque, je pensais que “carpe diem” signifiait “profiter de la vie”, dans le sens maximiser son temps de vie : passer le plus de bons moments possibles, réaliser ses rêves, faire de grandes choses. L’idée étant que n’ayant qu’une vie, chaque jour compte et doit être vécu comme le dernier.
On dit souvent qu’il faut profiter des bons moments. Lorsque nous partons en voyage ou en vacances, nos proches nous disent “profitez-en bien !”.
Mais qu’est-ce que ça veut dire “profiter” ? Est-ce le fait de se lever tôt et de visiter tous les monuments et attractions possibles ? Profiter vient de profit. J’y perçois une relation comptable avec le temps, incitant à le rentabiliser. Quel profit vais-je retirer de mes activités ? Profiter invite ainsi à une course au profit, à maximiser son temps pour en retirer le plus. Le plus de quoi ? À quelle fin ?
J’aime bien le verbe enjoy en anglais, qui signifie savourer. Savourer, apprécier, sont des verbes invitant à utiliser ses sens, à observer, et à ressentir les évènements.
Ce qui est paradoxal avec cette injonction à “profiter”, c’est que plus je fais des choses, plus j’ai un agenda chargé, et moins je profite vraiment de la vie. Dans son traité De la brièveté de la vie, Sénèque écrit :
Mais combien est courte et agitée la vie de ceux qui oublient le passé, négligent le présent, craignent pour l’avenir ! Arrivés au dernier moment, les malheureux comprennent trop tard qu’ils ont été si longtemps occupés à ne rien faire.
Être pleinement présente, à chaque instant, dans chacune de mes activités, c’est ce que je tente de pratiquer, non sans de grandes difficultés. Entre l’anticipation du futur, les distractions, mes pensées et questionnements incessants, être simplement dans le présent s’avère n’être pas si simple !
Et pourtant, c’est une invitation à faire une seule chose à la fois, à observer, à être à l’écoute de son environnement.
À l’heure des outils numériques, téléphones intelligents, navigateurs à multiples onglets, et écouteurs sans fil, il est devenu assez aisé de faire plusieurs choses à la fois. Avec internet, je peux aussi me retrouver dans plusieurs “présents” à la fois : j’assiste à un spectacle de jazz, je prends une vidéo avec mon téléphone que je partage aussitôt à des amis, avec qui je discute en parallèle du spectacle. Dès le moment où je prends mon téléphone, je me déconnecte en partie du monde dans lequel je suis, et je ne suis plus vraiment présente. Assister au spectacle, être seulement là, à l’écoute, sans distraction, est un vrai défi.
Dans son Petit traité de l’abandon, Alexandre Jollien nous livre ses pensées pour “accueillir la vie telle qu’elle se propose”, en cheminant vers l’abandon. La présence est le résultat d’un dépouillement intérieur : se défaire de ses peurs, ses fixations, ses préjugés, ses objectifs. Il nous invite à l’abandon, au lieu de la lutte. Voici un extrait :
Il est compliqué de rester nu face à la vie. Tout se passe comme si notre mental travaillait du matin au soir à la compliquer, à comparer, à attendre des circonstances qui n’arriveront jamais, à regretter un passé qui est passé pour toujours. Mener une vie simple, c’est s’abandonner à tout. [..] La simplicité, c’est bien davantage que l’acceptation de soi. C’est être avec soi, avec une infinie bienveillance.
Lorsque je lis des passages de son livre, je me sens plus légère et détendue. Je relâche la pression, j’abandonne mes convictions, mes jugements et mes inquiétudes. Je me retrouve en quelque sorte, juste moi, ici, ni plus ni moins. C’est dans ces moments que je me sens pleinement présente, et à l’écoute des autres.
De la brièveté de la vie, Sénèque. Une traduction, dont j’ai pris la citation ci-dessus, est disponible sur Wikisource.
Petit traité de l’abandon, Alexandre Jollien
Deux épisodes du podcast Simone et les philosophes :
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Je profite de cette publication pour annoncer notre prochaine bulle d’air qui aura lieu le mercredi 20 octobre de 11h30 à 12h30 sur le thème de la motivation. N’hésitez pas à vous inscrire si vous souhaitez y participer et à partager l’invitation autour de vous !
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À travers le projet Jazz, je souhaite aider les personnes à prendre du recul sur leur quotidien, réfléchir à leur rapport au temps, et retrouver une certaine liberté de choix et d’organisation. Si cela vous parle, vous pouvez m’écrire directement en répondant à cette newsletter, ou en allant sur notre site web alento.fr.