Avez-vous déjà vécu une situation où vous aviez réussi un objectif ou un rêve sans avoir fourni d’effort particulier, sans aucune action intentionnelle de votre part ? Un entretien d’embauche, une rencontre, un changement de vie ?
Une situation assez commune est celle de l’objet perdu. Vous passez des heures à le chercher partout, et ce n’est qu’une fois que vous abandonnez la recherche que l’objet réapparait. Peut-être quelqu’un vous a déjà donné ce conseil : “arrête de chercher et tu le trouveras !”
Il y a un certain nombre d’anecdotes similaires : une rencontre amoureuse inattendue, un enfant longtemps désiré arrivant par surprise. Le point commun de ces situations est l’abandon de l’objectif poursuivi, le fameux “lâcher prise”.
À l’inverse, il y a des situations où tous les efforts fournis n’aboutissent à rien, et même vous éloignent de votre objectif de départ. C’est le cas par exemple des situations de contrôle : des parents trop protecteurs vis-à-vis de leurs enfants qui, ayant besoin de liberté, se retrouvent à enfreindre les règles. Ce n’est qu’en lâchant prise, en abandonnant le contrôle, que la situation se rééquilibre d’elle-même.
Ces situations posent une question sur le rôle de nos actions dans la poursuite d’un objectif, et du déséquilibre qui en découle.
Lorsqu’on poursuit un objectif, on dit qu’on se “focalise”. Ce “focus” a l’avantage de maintenir notre attention sur l’objectif, ce qui à priori nous permet de prendre des décisions et d’agir en restant concentré sur ce but. Notre attention est ainsi restreinte à la poursuite de l’objectif visé, ce qui a pour effet d’être moins réceptif à d’autres choses.
En entreprise, il est assez courant d’avoir des objectifs, souvent chiffrés, en termes de ventes, d’acquisition de nouveaux clients, et d’autres mesures liées au chiffre d’affaires. Les directions et différents départements vont avoir leurs propres objectifs, parfois les salariés eux-mêmes sont évalués par rapport à des objectifs personnels à atteindre.
Cette stratégie de management par objectif, se base sur le principe que les actions ont des effets directs et précis, que pour atteindre B, il suffit de faire un certain nombre d’actions A, et les choix et la qualité de l’exécution fera que B sera atteint ou non. Ce principe ne prend pas en compte l’environnement, les autres acteurs de l’organisation qui eux aussi prennent des décisions et agissent, et toute une multitude de facteurs extérieurs pouvant favoriser ou non la réussite de l’objectif.
Ces objectifs, souvent fixés suite à de longues réunions, débouchent sur l’élaboration de plans, plus ou moins détaillés, que chacun se doit de suivre. Ce que je trouve intéressant, c’est lorsque le plan ne se réalise pas, au lieu de remettre en question le plan, et éventuellement l’objectif fixé, les acteurs redoublent d’efforts pour modeler la réalité à l’image du plan. Plus d’actions, plus d’efforts, plus de la même chose.
Je reste surprise de voir autant d’organisations (entreprises, médias, gouvernements) continuer à fonctionner avec ce système d’objectifs et de plans dans un monde de plus en plus complexe et imprévisible.
Nos actions ont des conséquences, et c’est bien dans cette logique que nous agissons, en pensant que telle action aura telle conséquence et me permettra d’atteindre mon but.
Les conséquences de nos actions ne sont cependant pas toujours prévisibles, et quelques fois arrivent tardivement, comme un boomerang.
Le dérèglement climatique en est un parfait exemple. La poursuite de nos objectifs de croissance et de consommation a eu pour effets la surexploitation de nos ressources, la déforestation, l’amoindrissement d’eau potable, le réchauffement de la planète. Ces conséquences ont par la suite d’autres effets, comme la fonte des glaces, l’extinction d’espèces vivantes, et nous voyons toute une réaction en chaine se mettre en place et se poursuivre sans nous.
La focalisation sur ces objectifs de croissance nous a fait ignorer les effets retour, ou feedback, des conséquences dont les scientifiques nous ont pourtant alertés depuis un certain temps.
Un autre exemple moins dramatique de feedback peut être observé en entreprise, lorsque la poursuite des objectifs chiffrés met une telle pression sur les salariés que certains décident de partir. Sans parler des épuisements professionnels, les burnout, la perte de motivation, le manque de sens. Les dirigeants et managers pourraient être à l’écoute de ces feedbacks, s’adapter au changement, avoir des temps de réflexion et de prise de recul. Mais cela demande de l’attention et du temps, qui n’est pas entièrement occupé à la poursuite des objectifs.
“Atteindre un but par le non-agir”, c’est le titre d’un livre écrit par Dany Gerbinet, dont la récente lecture m’a grandement inspiré cet article.
Qu’est-ce que le non-agir ? On pourrait penser que c’est ne rien faire, être oisif, passif, un concept assez mal vu dans notre monde occidental qui nous pousse à l’action.
Le non-agir s’apparenterait plutôt à une manière d’être à l’écoute et de se laisser porter par des circonstances favorables. Sans plan ni but précis, il est alors possible d’être plus attentif à l’environnement et aux opportunités. Une façon d’être plus agile, faire des choix en fonction de ce qui est présent, et non par rapport à un plan prédéfini.
Cela me rappelle le concept de Kairos, que j’avais évoqué dans la toute première publication des Jazzettes. Le Kairos correspondrait à un moment opportun, éphémère et imprévisible, saisi de manière intuitive. Là encore, une certaine décision est prise dans ce moment, mais sans réel objectif ni plan.
Face à “l’urgence” climatique, j’observe des messages poussant à l’action. “Il est temps d’agir”, “passer à l’action”, alors même que ce sont précisément nos actions qui ont engendré ce déséquilibre.
La notion d’équilibre me semble justement centrale dans cette réflexion. Notre monde semble fonctionner comme un grand système homéostatique, et lorsqu’un déséquilibre apparait, le système s’autorégule. Ne faisons-nous pas partie de ce grand système ? Peut-être avons-nous oublié, dans cette société occidentale très individualiste, que nous faisons simplement partie de la nature, comme tous les autres êtres vivants.
Au lieu de s’efforcer d’agir pour atteindre ses buts, et de continuer d’agir lorsque cela ne fonctionne pas, peut-être s’agit-il de retrouver sa place dans l’environnement.
Peut-être que le non-agir consiste à s’inscrire dans ce grand système autorégulé, et de contribuer à son équilibre.
Qu’en pensez-vous ? Êtes-vous prêts à abandonner vos buts ?
Ma principale référence est ce livre : “Le thérapeute et le philosophe - Atteindre un but par le non-agir”, écrit par Dany Gerbinet.
---
Merci pour votre lecture ! Si cette publication vous plait, n’hésitez pas à laisser un commentaire, et à la partager à vos connaissances qui pourraient être intéressées.
Si vous sentez le besoin de prendre du recul sur votre quotidien, réfléchir à votre rapport au temps, découvrez notre offre d’accompagnement Jazz.