Les Jazzettes #10 : Vers la sobriété de l'information

Cela fait quelque temps que j’essaye de moins regarder les informations. Depuis le début de la pandémie, j’avais pris l’habitude de regarder tous les jours sur mon téléphone francetvinfo, un site d’informations en continu, pour suivre l’évolution du virus et les mesures prises par le gouvernement. Sauf qu’en fin de compte, je ne regardais pas seulement les informations relatives à la pandémie, je finissais par regarder toutes les informations mises en avant sur la page d’accueil du site.

Je sentais une certaine fébrilité en lisant toutes ces actualités, et afin d’élargir mes horizons, je commençais à regarder également d’autres sites d’information pour diversifier mes sources. Bref, le temps passé sur la consommation d’actualités était devenu assez conséquent (entre 1h et 2h par jour environ).

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Depuis vendredi dernier, je n’ai plus regardé un seul site d’actualité. Et durant le weekend, grâce à ce nouveau temps libre, j’ai commencé à lire un livre qui m’a inspiré cet article. J’ai une nouvelle hypothèse qui se dessine, qui est que l’accumulation d’information nuit à la curiosité et à l’ouverture d’esprit.

L’illusion de la connaissance

Les informations apprises, que ce soit via les actualités médiatiques, les articles de presse, les journaux et émissions télévisées, représentent une infime partie de toutes les informations existantes dans le monde. Nous avons accès à de plus en plus d’information, de plus en plus rapidement, presque en temps réel. Et pourtant, ce qui nous parvient n’est qu’une fraction de toutes les informations et connaissances qui existent.

Par ailleurs, les informations liées à un seul fait sont elles-mêmes sélectionnées et peuvent diverger suivant les points de vue. Un évènement peut-être présenté sous divers angles, les données et le contexte étant vaste, seul un fragment est mis en avant. La course au temps réel pousse en plus les médias à nous présenter des informations incomplètes, sans aucun recul, pourvu que nous soyons “au courant” de ce qui se passe.

Et, dernier point, notre cerveau interprète et ne retient qu’une fraction de ces informations partielles. Un même article peut être compris différemment par les lecteurs. Il s’opère une interprétation et une sélection de l’information à retenir. Et au fur et à mesure que le temps passe, notre mémoire nous renvoie une image de plus en plus floue et déformée.

Je résume donc : les informations auxquelles nous avons accès sont une sélection, à son tour représentant des extraits de point de vue, et nous n’en retenons qu’une infime partie, bien souvent interprétée.

D’où l’illusion de la connaissance. Plus nous apprenons, lisons et regardons des informations, plus nous avons l’impression, à tort, de bien comprendre les choses, et cela alimente nos opinions et nos croyances.

Et pourtant la quantité de connaissances que nous n’avons pas est immense, bien plus grande que tout ce qu’on a appris.

Le biais de confirmation

Vous souvenez-vous de vos cours de mathématiques du collège ? Pour démontrer un théorème, les exemples ne sont d’aucune utilité. Un contre-exemple peut annuler une affirmation, mais aucun exemple ne peut suffire à la confirmer, même en grande quantité.

Prenons par exemple l’affirmation suivante “Tous les cygnes sont blancs”. Le nombre de cygnes blancs que vous voyez ne prouve en aucun cas que tous les cygnes sont blancs. Il suffira un jour d’en voir un noir, ou d’une autre couleur, et l’affirmation est invalide.

Les observations ne constituent pas une preuve de la non-existence d’une chose. Prenons le domaine de la santé, lorsque vous passez un examen de dépistage, si le résultat est positif, cela constitue une preuve de la présence d’une maladie (en supposant que le dispositif n’est pas défaillant). À l’inverse, un résultat négatif ne prouve pas l’absence de maladie. Cela signifie seulement qu’aucun signe de la maladie n’a été détecté.

Le biais de confirmation consiste à utiliser des exemples comme des preuves venant appuyer une croyance ou une hypothèse. Si vous pensez par exemple que fumer ne représente pas un risque mortel pour la santé, à chaque fois que vous verrez une personne très âgée fumer toujours en bonne santé, ou une personne n’ayant jamais fumé être atteinte d’un cancer des poumons, cela va vous conforter de cette croyance, et vous faire dire “de toutes façons, il faut bien mourir de quelque chose”.

Si vous pensez que les étrangers constituent un danger pour votre pays, à chaque fois que vous verrez une information dans laquelle un étranger est lié à un crime, cela va alimenter votre croyance.

Cette confusion, consistant à utiliser des exemples comme des preuves, peut arriver dans la vie de tous les jours, à tout le monde, quelles que soient nos études académiques.

Et la quantité actuelle d’information, de plus en plus grande, alimente ce biais.

L’effet bulle

Les réseaux sociaux ont une particularité par rapport aux autres sources d’information, qui est de nous montrer à chacun et chacune des informations différentes. C’est la personnalisation des outils. Suivant notre historique d’utilisation et de navigation, des algorithmes vont sélectionner les informations à mettre en avant qui ont le plus de chance de nous attirer l’attention. D’où un phénomène de bulle. Et les réseaux sociaux ne sont pas les seuls à l’oeuvre, les moteurs de recherches comme Google fonctionnent également sur un affichage personnalisé.

Plus vous regardez des informations, plus vous allez trouver facilement d’autres informations similaires. Les moteurs de recherches et les fils d’actualités vont vous proposer des contenus qui vont correspondre à vos intérêts et points de vue.

Ces bulles entrainent une polarisation des points de vues, chacun devient persuadé d’avoir raison. Du fait du biais de confirmation, plus vous lisez des informations et trouvez des exemples étayant vos points de vue, plus cela renforce vos croyances.

Vers la sobriété de l’information

Ce que je vais vous proposer va à l’encontre de la course à la connaissance. Et si “ne pas savoir” était un atout face à la complexité du monde ? Comment garder une humilité et une curiosité si on passe notre temps à accumuler de la connaissance ?

La pandémie actuelle me semble un très bon cas d’étude. Nous sommes face à l’incertitude, aucun modèle n’a été capable de prédire avec exactitude ce qui va se passer dans les prochains jours. Nous l’avons vu à de nombreuses reprises avec les différents scientifiques présentant des courbes de prédiction qui finalement ne se réalise pas. Ces modèles peuvent servir à se préparer à une éventualité, mais ne constituent en aucun cas des vérités.

Nous vivons dans un monde complexe, dans lequel personne ne comprend vraiment ce qui se passe, et encore moins, ne peut prédire ce qui va arriver.

Je vous lance une invitation à la sobriété de l’information. Je vous propose de tenter des expériences et observer ce que cela change dans votre quotidien. Et si vous arrêtiez complètement de regarder les actualités pendant une semaine ? Ou ne plus aller sur les réseaux sociaux ? En fonction de votre consommation actuelle, je vous invite à la réduire drastiquement pendant quelques jours et voir ce que ça fait. Combien de temps cela va-t-il libérer ? Quelles activités allez-vous faire pendant ce nouveau temps libre ?

Je serai curieuse de connaitre vos expériences, n’hésitez pas à laisser un commentaire pour les partager.

En ce qui me concerne, je vais continuer à ne plus regarder de site d’actualité. Si une information importante survient, je suis confiante que je l’apprendrai, ne serait-ce que par mon entourage. Et pendant ce temps libre, je vais continuer à lire des livres qui me font réfléchir.

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Références

Le livre que je lis actuellement et dont je parle au début de l’article : “The Black Swan: The Impact of the Highly Improbable, écrit par Nassim Nicholas Taleb. Existe également en traduction française sous le nom “Le cygne noir”.

Un reportage que j’ai vu récemment sur les biais présents dans les algorithmes d’intelligence artificielle : “Coded bias, disponible sur Netflix.

Une vidéo sur la nuance, avec notamment un passage sur le flot d’information : “L'importance de la nuance

Article de Blog de Seth Godin : Trapped by tl;dr

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Merci pour votre lecture ! Si cette publication vous plait, n’hésitez pas à laisser un commentaire, et à la partager à vos connaissances qui pourraient être intéressées.

Si vous sentez le besoin de prendre du recul sur votre quotidien, réfléchir à votre rapport au temps, découvrez notre offre d’accompagnement Jazz.